Retour au blog
May 2, 2017

Mastering de l'EDM dans les studios hybrides d'aujourd'hui

 

DJ en train de jouer sur la scène d’un festival en plein air la nuit, vu de dos avec une grande foule devant.

Ces dernières années, j’ai réalisé que parler de “genres” devient de plus en plus difficile.

La quantité d’influences, de sous-styles et de collisions entre tendances et timbres, combinée à la vitesse pure à laquelle nous vivons, a fait de la musique un cheval sauvage difficile à monter… et on ne peut le nier : musiciens, performeurs, DJs, producteurs, ingénieurs : ils adorent tous les chevaux sauvages. Dans le chaos en constante évolution de la musique, la musique électronique ne fait pas exception. Du point de vue de la production, c’est l’un des genres qui s’est affranchi de la vieille chaîne de production.

L’absence (ou le manque) d’instruments acoustiques a permis d’éviter certains goulets d’étranglement : enregistrer une batterie live et des amplis guitare bruyants (par exemple) nécessite un bon studio, des voisins tolérants… ou les deux. Des parcs aux petites caves souterraines, des métros aux chambres d’étudiants, on peut surprendre n’importe qui en train de produire de la musique électronique avec un ordinateur portable, une boîte à rythmes, une station de travail portable ou même une tablette.

Le producteur électronique d’aujourd’hui utilise-t-il encore des studios ?

La question évidente aujourd’hui devient donc :

Le producteur de musique électronique d’aujourd’hui aura-t-il besoin d’un studio professionnel et de ses ingénieurs ? Si oui, comment et pourquoi ?

Le spécimen électronique

DJ avec un casque levant les mains pendant un set nocturne tandis que la foule acclame devant la scène.L’un des défis les plus difficiles de la scène est la vitesse à laquelle elle mute : les labels et les distributeurs sont intéressés par ceux qui sont en avance sur leur temps, surtout dans le EDM. De plus, il faut que ça sonne aussi fort, punchy, groovy et riche en basses que les têtes d’affiche, sinon vous êtes hors-jeu. Pour cette raison, la plupart des producteurs gardent leur dernier mouvement pour la phase de mastering : c’est là que les studios et ingénieurs professionnels reviennent à la rescousse.

Dans cet article, nous suivrons le développement du titre “Shaggy”, produit par le producteur et DJ italien Gabriele Giudici et masterisé par moi, depuis son arrivée chez moi jusqu’à sa sortie.

Écoute préliminaire

Il est courant que les producteurs EDM m’envoient plus d’une version de leur mix final. Souvent ils travaillent complètement in-the-box et ont une chaîne de plugins favorite pour leur mix buss. Ils aiment laisser l’ingénieur mastering décider quel est le meilleur point de départ : du traitement complet du mix buss à l’absence totale de traitement, en passant par toutes les étapes intermédiaires. Il faudra faire confiance à vos oreilles et décider. Bypasser une chaîne de mix buss utilisée depuis le début peut complètement dissoudre un mix. D’un autre côté, certains producteurs deviennent trop enthousiastes en essayant les derniers plugins sortis, et il y a de fortes chances qu’ils en rajoutent beaucoup trop. Tout dépend. Écoutons les différentes versions de “Shaggy” que j’ai reçues du producteur. Une chose importante : j’ai appairé le gain entre les différents extraits, pour ne pas être trompé par le volume.

Mix final, Version 1.0
Mix final, Version 1.1
Mix final, Version 1.2

J’ai décidé d’opter pour la Version 1.1 car j’ai trouvé que les transitoires y étaient plus propres et avaient moins de “voile” que dans les deux autres. Si vous avez du mal à repérer les différences, essayez ceci : portez attention au sub-basse sur les trois. Vous constaterez que dans la version 1.1 elle n’est peut‑être pas la plus évidente mais elle a de la masse et ne vacille pas dans les extrêmes (30–40 Hz). Entendre ce flottement requiert un environnement d’écoute plutôt bon et d’après mon expérience les subwoofers ne rendent pas toujours ce comportement aqueux. Vous pouvez aussi investiguer en n’écoutant que le canal latéral, et je suis sûr que vos conclusions seront les mêmes. Maintenant que nous avons ancré notre attention sur un élément, faites attention au comportement avant‑arrière du mix quand la basse et la grosse caisse frappent. Est-ce qu’il y a une impression de profondeur réelle ou tout semble-t-il sur le même plan ? Une chose est d’“entendre” des sons différents… oui, je peux entendre les mêmes sons sur les trois mixes… mais est-ce qu’ils se ressentent de la même façon ? Pour moi, la v1.1 était la plus organique et vivante des trois, et paraissait moins voilée par le halo numérique typique de ces productions, où des limiteurs excessifs, des samples sur-travaillés, etc. peuvent rapidement mener à un tas de sons durs flottants.

Références

Capture d’écran de Pro Tools comparant la forme d’onde de “Notorious” de Malaa avec le prémaster de “Shaggy”.Autre élément courant : les producteurs vous donnent une référence pour la façon dont ils veulent que leur morceau sonne. J’adore que l’EDM soit orienté vers des résultats et des standards… je trouve ça artistiquement stimulant et très amusant. Pour ce titre, la référence était Notorious, par Malaa, un morceau de "Future House" sorti en 2016 sur le label Confession. Écoutons un extrait juste avant le drop et comparons-le au drop du morceau que nous allons masteriser. Là encore : les deux extraits sont appairés en gain pour rendre la comparaison équitable.

Référence : Malaa - Notorious (Original Mix)

"Notorious" par Malaa apparaît avec l’aimable autorisation de Malaa et Confession Records.
Vous pouvez trouver l’EP "Notorious" sur Beatport

La chaîne de mastering

Schéma du flux de signal en mastering montrant le workflow numérique-vers-analogique depuis la piste DAW jusqu’à la piste finale imprimée. La première étape dans mon travail est de configurer la chaîne de mastering. Nous allons travailler avec un hybride de traitements numériques et analogiques :

Voici la liste de la chaîne de mastering qui a été patchée, j’en ai aussi fait un joli schéma qui devrait faciliter la compréhension :

  • Piste stéréo dans Pro Tools
  • Convertisseur D/A (Lavry Blue 4496)
  • Dangerous Music Master
  • Convertisseur A/D (Lavry Blue 4496)
  • Piste Aux stéréo dans Pro Tools
  • Piste audio stéréo dans Pro Tools

 

Cette configuration me permet de travailler avec une extrême polyvalence. Je peux placer des plugins sur la piste source, traiter ensuite dans le domaine analogique puis revenir au numérique et utiliser d’autres plugins avant l’impression finale.

Travail sur la piste source

J’ai commencé par rapprocher la piste source de la référence. C’est là que le domaine numérique fonctionne très bien et permet d’ajuster votre tonalité sans laisser une grosse empreinte. Un travail a dû être fait pour rééquilibrer le spectre et gérer le champ stéréo, quelque chose qui peut être obtenu avec un plugin d’EQ polyvalent comme le FabFilter Pro-Q 2, en phase linéaire.

Je sais bien que certains plugins ont une fonction de « matching » : vous leur faites écouter quelque chose et ils transforment votre piste pour qu’elle ressemble à une autre, disent-ils. Eh bien, je l’ai essayé quelques fois et j’ai personnellement constaté que faire le matching à l’oreille était toujours mieux pour moi (et pour le client). Peut‑être que c’est l’attitude de la pizza faite maison ! En deuxième étape, j’ai ouvert une autre instance de Pro-Q 2 et l’ai utilisée en mid-side. J’ai augmenté la présence sur le mid autour de 5 kHz et enlevé une résonance dans les graves pour lisser le tout. Sur le canal latéral j’ai nettoyé les informations basses et réduit un peu la brillance autour de 10 kHz. Ce processus m’a en partie rapproché de la référence mais a aussi préparé le mix pour le gros du travail que nous allons faire : atténuer des résonances et enlever du contenu en basses fréquences du canal side (pour ne citer que ces deux mouvements) sont des astuces courantes en musique électronique et pas seulement là. Note : j’ai utilisé une étagère basse au lieu d’un filtre. C’est une manœuvre courante pour éviter des problèmes de phase quand on ne travaille pas en phase linéaire, mais une étagère basse a une manière de nettoyer le contenu des graves que j’aime souvent sur le canal side plutôt qu’un filtre passe‑haut. Essayez les deux la prochaine fois que vous ferez quelque chose de similaire, c’est une astuce à retenir !

FabFilter Pro-Q 2 EQ avec un façonnage tonal large appliqué au mix stéréo. FabFilter Pro-Q 2 en mode mid-side avec des ajustements EQ ciblés sur les canaux mid et side. Les deux instances de FabFilter Pro-Q2 utilisées en série (de gauche à droite) pour préparer le mix numérique

Pro-Q 2 sur Insert A (stéréo)
Pro-Q 2 sur Insert B (stéréo) + Pro-Q 2 sur Insert B (mid/side)

Outboard analogique en mastering

Unité hardware de compresseur de bus de type SSL avec contrôles de threshold, ratio, attack et release.Ayant déjà travaillé avec ce producteur sur d’autres masters, je sais qu’il adore le SSL Buss Compressor. C’est là que je commence presque toujours avec ses mixes. Mon propre compresseur « SSL‑style » a été construit à la main il y a des années, suivant l’ancienne version du Bus Compressor trouvée sur les consoles SSL comme la 4000… et il avait une précieuse puce DBX gold (j’en suis très fier !). Au fil des ans, j’ai découvert que la version SSL la plus récente (construite autour des puces THAT VCA) avait plus de mordant et un équilibre moderne que je recherchais, donc je m’en suis procuré un autre et je n’ai jamais regretté.

Insert 1 : SSL Buss Compressor

Je l’ai réglé à 4:1, attack à 1 ms, release en Auto, sans sidechain. J’ai baissé le threshold jusqu’à entendre la magie typique du SSL. Il y a un sweet spot où le compresseur rend juste les choses plus serrées et plus puissantes. Mais il a aussi un centre très marqué comparé aux côtés et je trouve que c’est super important en musique électronique avec des kicks lourds, car le public recherche cette frappe centrale massive des graves.

Une fois satisfait, j’ai commencé à donner un gain de sortie assez généreux depuis l’unité. Pourquoi est‑ce que je casse la règle de l’appairage de gain ici ? Une partie de notre tâche en mastering est d’amener la chanson au même niveau de loudness que la « référence » (oui, je peux presque vous entendre dire « le niveau compétitif »). Pourquoi ne pas simplement monter un potentiomètre quelque part dans le domaine numérique ? On pourrait. Est‑ce que ça sonnera bien ? D’après mon expérience… pas vraiment ! J’aime monter le gain dans le domaine analogique et faire très peu de rehausse dans le domaine numérique. Si vous avez du bon matériel analogique, les boutons de sortie font partie de votre son autant que les autres caractéristiques de l’outboard, vu l’électricité et les composants impliqués dans la construction de l’unité. Pour ces exemples, j’ai appairé à nouveau les clips pour vous laisser vous concentrer sur le ton et l’ambiance fournis par le compresseur.

Insert 1 : SSL Buss Compressor

Unités rack Dangerous Compressor et Dangerous BAX EQ utilisées dans la chaîne de mastering analogique.

Insert 2 et 3 : Dangerous Compressor + BAX EQ

De là, je passe dans mon Dangerous Music Compressor. C’est un autre compresseur VCA mais comparé au SSL celui‑ci n’a pas de couleur marquée et est très transparent. J’obtiens le ton, la glue et l’énergie du SSL et j’utilise le Dangerous Compressor en 20:1, attack la plus rapide (1 ms sur cette unité) et release au tempo, en stéréo, sans sidechain mais avec le contrôle Smart Dynamics activé. Ce que cela fait, c’est engager un circuit à double détecteur qui donne à l’unité un comportement plus euphoniquement dépendant du matériel du programme. J’ai réglé le threshold juste pour effleurer les VU et obtenir probablement pas plus de 0,5/1 dB de compression. Cela homogénéise la chanson et la prépare à entrer dans l’A/D. J’ai commencé à ajouter du gain afin d’atteindre le niveau souhaité par le client. Je trouve que le Dangerous Compressor permet d’apporter beaucoup de gain sans changer la couleur du programme, ce qui est une caractéristique très recherchée en situation de mastering. De là, je suis passé au Dangerous BAX EQ, uniquement pour mettre un high-pass à 36 Hz et un low-pass à 28 kHz. Dans d’autres styles d’électronica, un high-pass à 36 Hz est parfois excessif (rappelez‑vous, le filtre étant à 12 dB/oct, le nombre indiqué est le point où nous avons déjà -3 dB d’atténuation… donc en pratique le filtrage commence plus haut que le nombre indiqué). Dans ce cas, ce réglage a permis de restaurer l’équilibre dans les basses extrêmes et de les resserrer (une des zones avec les problèmes les plus fréquents dans les morceaux que je reçois, à cause de l’acoustique de la pièce ou de déficiences de monitoring) ; les deux filtres vont aussi retirer les fréquences extrêmes qui seraient inutiles pour le convertisseur A/D.

Insert 2 et 3 : Dangerous Compressor + BAX EQ

Convertisseurs, clipping et couleur

J’atteins la phase A/D et commets le péché mortel du clipping. J’avoue : je le fais… et beaucoup d’ingénieurs mastering le font aussi. Pourquoi ? N’est‑ce pas mauvais ? Ne devrait‑on pas l’éviter ? Je suis totalement d’accord que théoriquement c’est incorrect. C’est du clipping, ça introduit de la distorsion et d’autres choses indésirables dans l’audio, mais la façon dont certains convertisseurs gèrent le clipping sonne bien mieux à mes oreilles que ce que j’obtiens avec n’importe quel limiteur de crête numérique que j’ai essayé.

Convertisseur Lavry Engineering 4496 situé dans le rack de mastering.Les studios de mastering s’attardent beaucoup sur la gamme de convertisseurs qu’ils proposent pour une bonne raison : il n’y a pas de meilleur. Certains sont très propres à des niveaux « politiquement corrects », d’autres ont une couleur distinctive (avec toute la controverse que cela implique, puisque beaucoup estiment qu’ils devraient être sans couleur) mais ne distordent pas de façon audible lorsqu’on les clippe. Quelques exemples notables d’étages A/D pour moi sont le UA 2192 (super couleur et image sonore mais pas trop en avant dans le canal médian), le Apogee PSX (belle poussée en avant dans le mid, un peu plus focalisé que le 2192), le Lavry AD122 (qui selon moi sonne au mieux lorsqu’on le clippe ! allez comprendre), la série Lavry 4496 (de bons chevaux de bataille polyvalents), le Crane Song HEDD (propre et détaillé mais pas celui sur lequel je clippe quotidiennement, bien qu’il ait de super fonctionnalités pour la coloration), le Lynx Hilo (un autre candidat très propre), le Prism AD-1 ou 2 (simplement excellent, image sonore polie et présence) et… oui la liste pourrait continuer, il y en a tant que je n’ai pas encore essayés et que j’aimerais tester… mais vous voyez l’idée.

À chaque session de mastering, j’auditionne les convertisseurs comme je le ferais pour d’autres équipements analogiques, car ils joueront un rôle dans le son final. Pour Shaggy nous avons décidé d’utiliser les étages D/A et A/D Lavry 4496, cadencés en externe par mon Antelope OCX. Ces convertisseurs sont prêts à tout et quand on attend de la loudness ils m’ont toujours soutenu.

Retour au numérique

À ce stade nous sommes de retour dans Pro Tools, très forts mais toujours agréables. C’est là que je mets mon limiteur numérique. Selon le contenu de la chanson et le style, je répartis le gain entre le clipping A/D et le limiteur numérique. Dans certains cas je laisse le limiteur numérique faire 1 dB de plus, dans d’autres 1 dB de moins. Pour ce projet j’ai choisi DMG Audio Limitless. Ce limiteur/compresseur multibande en phase linéaire permet un réglage précis des différentes bandes pour atteindre la loudness désirée et, si besoin, ré-appairer le contenu fréquentiel avec la référence. Très utile et capable d’atteindre des niveaux élevés sans détruire complètement le programme.

Interface du limiteur multibande DMG Limitless montrant les bandes de fréquence, la réduction de gain et la loudness LUFS.

Limitless (1re étape)

Autres ajustements

Écrit par Alberto Rizzo Schettino

Pianist and Resident Engineer of Fuseroom Recording Studio in Berlin, Hollywood's Musicians Institute Scholarship winner and Outstanding Student Award 2005, ee's worked in productions for Italian pop stars like Anna Oxa, Marco Masini and RAF, Stefano 'Cocco' Cantini and Riccardo Galardini, side by side with world-class musicians and mentors like Roger Burn and since 2013 is part of the team at pureMix.net. Alberto has worked with David White, Niels Kurvin, Jenny Wu, Apple and Apple Music, Microsoft, Etihad Airways, Qatar Airways, Virgin Airlines, Cane, Morgan Heritage, Riot Games, Dangerous Music, Focal, Universal Audio and more.