Retour au blog
September 12, 2018

Mise en scène du gain de votre session

Se heurter au mur du “gain staging” est une leçon que tout le monde se rappelle. La mienne remonte à 2005 : je terminais un projet de montage vidéo au Musicians Institute et je réorchestrais la bande-annonce de Hellboy, dans le cadre de mon projet final. J’avais beaucoup de sons électroniques, un orchestre virtuel avec des percussions... c’était une session énorme. Je suis arrivé à un point où les choses sonnaient comme je les aimais : “il ne me reste plus qu’à ajouter les percussions électroniques et j’ai fini”, me suis-je dit… trop enthousiaste à l’idée de rentrer chez moi tôt ce jour-là.

Dès que j’ai ajouté ces pistes supplémentaires, mes contrebasses ont disparu. "Mh.. montons-les un peu.. maintenant les violoncelles sont faibles.. j’aimerais avoir un peu plus de timbales.. quel est ce bruit de grincement ? Ah ! Mon bus de mixage clippe. Je vais baisser son entrée.. maintenant je ne clippe plus mais le mix sonne déséquilibré, sans vie et terne."

Mon idée de rentrer tôt a commencé à s’évanouir sous mes yeux, je n’avais aucune idée de comment revenir à ce mix qui sonnait “correct”, et au loin j’ai commencé à entendre le son plaintif d’un alto solo. Il était clair que ça ne pouvait pas empirer.

Le problème - ce jour-là - venait en partie de mon manque de connaissances sur le gain staging.

Qu’est-ce que le gain staging ?

Pour moi, le gain staging est la technique consistant à gérer consciemment le gain d’une ou plusieurs pistes tout au long du chemin parcouru par leur signal audio. Être conscient de la façon dont le gain affecte votre signal audio et le résultat final est une compétence de base, mais fantastique (et souvent négligée) à posséder en enregistrement, mixage et mastering.

Dans une station audionumérique (DAW), la marge disponible de notre session est déterminée par la quantité de bits disponible. Puisque les formes d’onde sont décrites par des nombres, ces bits déterminent la valeur maximale qu’une forme d’onde peut prendre que le système peut décrire. Plus le gain est élevé, plus la forme d’onde est forte, plus de bits sont utilisés, plus le nombre est grand. Une fois que tous les bits sont utilisés, le système ne peut plus décrire la forme d’onde, un voyant rouge s’allume pour indiquer que vous “clippez” et la forme d’onde que vous enregistrez/entendez subira une distorsion indésirable.

Dans le domaine analogique (pensez à une machine à bande), les choses sont différentes. L’appareil analogique a une zone de fonctionnement idéale (généralement 0 VU sur son indicateur) et son timbre et sa couleur changent lorsqu’on le pousse en dessous ou au-dessus de cette zone. Si vous augmentez encore le gain, vous atteindrez un point où les choses sonneront clairement saturées, car l’appareil ne peut pas capturer votre signal prévu avec son homologue “analogique” (par exemple électrique vers magnétique, sur une machine à bande).

Sans entrer trop dans les détails sur la headroom, les bits (virgule flottante, etc. pour les têtes brillantes au fond de la classe), il est clair que le gain staging va améliorer notre utilisation de la marge disponible :

  • nous pouvons éviter d’atteindre la valeur pleine échelle et ainsi éviter la distorsion/le clipping
  • nous pouvons décider de l’intensité à laquelle frapper un appareil analogique (ou virtuel analogique) pour obtenir la couleur/le timbre souhaité

Vous est-il déjà arrivé d’en arriver au point où vous voudriez que la batterie soit un peu plus forte, mais :

  • vous augmentez le volume de la batterie : le mix distord et sonne mal
  • vous baissez tout le reste : le mix perd de la vie, sonne complètement différent et doit être refait ?

Si oui, alors allons-y :

Gain staging au début de la session

Combien de fois récupérez-vous une session, vous la chargez dans votre DAW, appuyez sur Play et ça sonne comme ceci :

Rough Mix (non gain-staged)

..ou comme ceci :

Rough Mix (clipping badly)

C’est le bazar. Je n’aime pas quand ça arrive et ça me dit que l’ingénieur d’enregistrement ne s’est pas beaucoup soucié du gain staging (surtout quand des musiciens ont été enregistrés en overdubs).

J’aime envoyer et recevoir des sessions enregistrées (c’est-à-dire “prêtes à être mixées”) de façon à ce que, quand quelqu’un appuie sur Play, elles soient intelligibles et faciles à comprendre. Bien sûr, elles sonneront “brutes” et non mixées, mais il est important de donner au prochain ingénieur le meilleur scénario possible pour comprendre quelles sont les intentions de l’artiste/groupe. Si les choses sonnent comme l’exemple ci-dessus, pouvez-vous déterminer si les guitares ou les claviers doivent être prédominants dans la chanson ? Rien que ça, c’est énorme !

C’est pourquoi mes rough mixes sonnent comme ceci :

Rough Mix (gain-staged)

Ah ! Beaucoup plus facile maintenant d’en saisir l’ambiance générale. Peu importe à quel point c’est brut, vous pouvez toujours améliorer le son simplement en faisant le gain staging de la session.

L’astuce pivot grosse caisse / caisse claire

Pour ce faire, au fil des ans, j’ai développé une approche générale qui semble fonctionner à chaque fois. Je règle les niveaux de ma grosse caisse et de ma caisse claire pour qu’ils atteignent juste un peu la zone “jaune” dans Pro Tools - ce qui correspond à environ -24 dBfs RMS sur le vumètre (pics atteignant de -6 à -3 dBfs). Vous pouvez utiliser cette information dans n’importe quel DAW et construire votre référence visuelle.

Comme deuxième étape, je règle le volume de monitoring à un niveau confortable. J’ai un sélecteur à crans sur mon contrôleur de monitoring, donc je peux presque toujours le remettre au bon niveau sans même lancer la musique. Une fois réglé, je vous recommande de le laisser ainsi et généralement de ne pas y toucher, ou du moins de faire l’effort de le ramener à la position d’origine chaque fois que vous y touchez.

Si vos enceintes délivrent suffisamment de volume, vous ne serez pas tenté de pousser le volume des pistes pour qu’on les entende. Nous mixons ! L’objectif ici est de “mixer” les pistes, l’intérêt du niveau absolu de la piste est secondaire. C’est pour ça qu’il existe des ingénieurs de mastering !

À ce stade je peux commencer à intégrer tous les éléments du mix et à fixer des volumes généraux, pendant que la grosse caisse et la caisse claire jouent (toujours avec elles !). Important : je ne règle pas le volume de la piste avec le fader de volume de ce canal ! Je le laisse à zéro et j’utilise plutôt un “trim” au début du canal.

Un “trim” est un bouton ou un fader de volume général dont le seul but est de changer le gain d’un signal. De cette façon, je réserve mon fader principal de piste pour l’automation et les modifications ultérieures après le traitement du canal. Comme la résolution de ce fader est meilleure lorsqu’il est proche de zéro, le garder autour de la valeur d’unité est la meilleure façon d’exploiter sa résolution maximale.

Si vous ne voulez pas utiliser de plug-in, une excellente façon de faire est de modifier le gain du clip lui-même. Tous les DAW le permettent aujourd’hui et c’est une façon fantastique de garder votre session propre et de sonner “juste” dès le départ.

En suivant cette méthode, les choses se mettront en place selon leur relation de loudness avec la grosse caisse et la caisse claire et une fois toutes les pistes présentes… regardez le vumètre du bus de mix : il sera probablement autour de -18 à -12 dBfs RMS. Beaucoup de marge au cas où vous devriez remonter quelqu’un d’un ou deux dB pour qu’il soit entendu. Votre mix va respirer mieux, votre automation va sonner mieux et vous resterez bien loin du redouté voyant rouge du clipping.

Encore une fois, ça fait toute la différence.

Utiliser des bus comme point de staging supplémentaire

Regrouper des pistes séparées en les routant vers un bus est un excellent moyen de contrôler le son global de ce groupe. Batterie, basse, guitares, claviers, voix et effets vont chacun vers des bus séparés, dans mon exemple. De cette façon je peux :

  • surveiller leur niveau individuel
  • appliquer du traitement au groupe
  • ajuster le volume de chaque bus, si nécessaire, de façon 100 % transparente (merci le numérique !)

Comme vous pouvez le voir, je voulais un peu moins de voix et un peu plus d’effets. Une façon rapide de le faire était de déplacer les faders des bus… parfois je mets même un nouveau plug-in Trim sur ces bus, j’entre les valeurs puis je remets les faders à zéro.

Gain staging pour le matériel analogique et les plug-ins

Vous devez savoir que le gain staging est important même quand vous n’utilisez qu’un appareil analogique ou numérique (surtout quand ils prétendent émuler l’analogique !). Attention : c’est surtout subtil, mais c’est là !

Écoutez comment la batterie et les guitares sonnent à travers ma paire d’API 550A (excellents EQ !) avec différents réglages de gain staging. Tous ces exemples aboutissent à la même quantité de volume final, mais les gains d’entrée et de sortie sont réglés différemment via ma console maître (potentiomètres à crans analogiques pour l’IN et l’OUT) :

Drums, API 550A HW IN:0 OUT:0
Drums, API 550A HW IN:-12 OUT:+12
Guitars, API 550A HW IN:0 OUT:0
Guitars, API 550A HW IN:-12 OUT:+12

Chaque exemple présente une quantité différente de “courant” circulant dans la circulation réelle du circuit de l’EQ. Cela fait que l’EQ sonne par rapport, par exemple, à IN+12 OUT-12 (beaucoup de gain poussé dans l’EQ) et IN-12 OUT+12.

Les plug-ins sont-ils différents ? J’ai essayé la même chose avec le plug-in UAD 550A :

Drums, UAD 550A IN:0 OUT:0
Drums, UAD 550A IN:-12 OUT:+12
Guitars, UAD 550A IN:0 OUT:0
Guitars, UAD 550A IN:-12 OUT:+12

Comme vous pouvez le constater, il y a encore quelques différences, bien que peut-être plus subtiles que sur la version hardware. Connaître ces subtilités vous permettra de trouver à quel niveau chaque équipement analogique aime être alimenté pour obtenir un son spécifique !

Revenons à mes bus et mettons un compresseur sur chacun d’eux. J’ai utilisé le Brainworx Townhouse Compressor sur tous, avec des réglages différents pour chaque bus. Cette pièce de matériel unique a une grande histoire et ce serait un rêve d’en avoir six dans une armoire, alors puisque "on peut rêver" j’ai créé mon propre rack Townhouse virtuel (ajout geek : les câbles en bas sont une photo réelle de l’arrière de l’un des racks, ici au Fuseroom).

Tout d’abord, envoyons une sinusoïde à 100 Hz à travers. Vous remarquerez que la ligne jaune est la sinusoïde normale. Regardez maintenant ce qui se passe quand on pousse le gain dans le compresseur alors qu’il est engagé : la distorsion harmonique de l’émulation recrée les changements que le hardware introduirait supposément. Cela signifie que pénétrer plus fort ou plus faiblement dans ce plug-in affectera non seulement la quantité de compression (et donc le timbre) mais aussi la distorsion harmonique appliquée à la piste (le "son de la boîte"). Je vous l’avais bien dit, le gain staging est important !

Cela devient encore plus intéressant : le bouton de sortie de ce plug-in a un son qui lui est propre et n’est pas linéaire. Regardez les deux images comparant un gain de sortie de +13,5 dB réalisé avec un plug-in Trim transparent dans Pro Tools ou fait avec le bouton de sortie du compresseur Townhouse (jaune vs violet). Cela signifie que même ce bouton de gain de sortie génère une certaine couleur/timbre.

Cela devient évident si nous jouons la chanson avec différentes valeurs de trim avant et après ces compresseurs. En diminuant de la même quantité tous les trims des bus (puis en compensant) on frappe le compresseur différemment, obtenant différentes quantités de compression et donc un timbre et une "cohésion" du mix différents.

Rough Mix, Bus Compressors IN:0 OUT:0
Rough Mix, Bus Compressors IN:-3 OUT:+3
Rough Mix, Bus Compressors IN:+6 OUT:-6

Gain staging sur votre bus de mix

À la fin de votre chaîne se trouve votre bus de mix et rien d’autre ne peut être affecté par votre gain staging. J’aime toujours avoir le contrôle de mes façons d’entrer et de sortir de ce bus de mix. Dans Pro Tools vous pouvez le faire avec des Master Channels (comme vous le voyez sur cette image, les rouges entourant le canal Mix Buss vert sont respectivement les voies IN et OUT). L’important est d’avoir quelque chose de complètement transparent qui gère la quantité de gain entrant et sortant de ce bus.

Comme vous pouvez le voir, j’ai chargé une chaîne de bus de mix générique que j’aime, depuis mon template. Ce que j’utilise n’est pas important, mais voilà :

  • UAD Shadow Hills Mastering Compressor
  • Slate Digital FG-Red Compressor
  • UAD K-Stereo
  • UAD Precision Equalizer
  • DUY Valve
  • DUY Tape
  • UAD Precisi
Écrit par Alberto Rizzo Schettino

Pianist and Resident Engineer of Fuseroom Recording Studio in Berlin, Hollywood's Musicians Institute Scholarship winner and Outstanding Student Award 2005, ee's worked in productions for Italian pop stars like Anna Oxa, Marco Masini and RAF, Stefano 'Cocco' Cantini and Riccardo Galardini, side by side with world-class musicians and mentors like Roger Burn and since 2013 is part of the team at pureMix.net. Alberto has worked with David White, Niels Kurvin, Jenny Wu, Apple and Apple Music, Microsoft, Etihad Airways, Qatar Airways, Virgin Airlines, Cane, Morgan Heritage, Riot Games, Dangerous Music, Focal, Universal Audio and more.