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January 25, 2016

Désolé - Justin Bieber

Pourquoi les hits d'aujourd'hui n'ont pas tous le même son : Une plongée approfondie dans “Sorry”

Le mythe : “Toute la musique diffusée à la radio se ressemble”

Toute la musique à la radio se ressemble. N'est-ce pas ? Je veux dire, allez ! C'est toujours les mêmes trucs recyclés encore et encore. Non ? C'est tellement ennuyeux qu'il n'y a plus aucun intérêt à écouter. Vous en avez déjà assez d'y être exposé en feuilletonnant People magazine à la caisse du supermarché. Quel ennui.

Eh bien mesdames et messieurs, pardonnez-moi d'employer un terme profondément technique, des conneries.

Ce qui passe à l'antenne aujourd'hui

Instantané du Billboard HOT100

Avez-vous écouté la radio récemment ? Ou tout ce qui remplace la radio dans votre univers ? Ça me fascine. Jetons un rapide coup d'œil au Billboard HOT100 de cette semaine.

  • Justin Bieber - Sorry On y reviendra.
  • Adele - Hello On en a déjà parlé.
  • Justin Bieber - Love Yourself Guitare et voix, pas de batterie ?
  • Drake - Hotline Bling Avez-vous vraiment écouté attentivement cette production ?
  • 21 Pilots - Stressed Out Qui aurait parié qu'on canaliserait Sugar Ray avant le XXIIe siècle ?
  • Selena Gomez - Same Old Love Vous avez déjà entendu quelque chose comme ça ? Où est le gros refrain ?
  • Shawn Mendes - Stitches Ah, un singer-songwriter avec des claquements de mains. Sympa.
  • Justin Bieber - What Do You Mean Je suis content que quelqu'un ait enfin retrouvé l'horloge perdue de ma grand-mère. Je commençais à m'inquiéter.
  • Alessia Cara - Here Un sample de Portishead ? Dans le HOT 100 en 2016 ?
  • Meghan Trainor ft John Legend - Like I’m Going to Lose You Le bon vieux Motown en 6/8. Ça ne rate jamais.

Et ça continue.

Pas deux morceaux qui se ressemblent

Que peut-on apprendre des dix premiers du Billboard Hot 100, à part le fait que Justin Bieber a un publiciste incroyable et une très bonne équipe de promotion radio ? Eh bien, il n'y a pas deux titres qui sonnent/ressentent la même chose. L'étendue est très large. Tout cela montre d'énormes compétences et une vraie vision, que ce soit en production, en écriture, en mixage ou en interprétation. Pour mémoire, en janvier 1986 le n°1 était Say You Say Me, en 1996 c'était One Sweet Day par Mariah Carey et Boyz II Men, en 2006 c'était encore Mariah Carey avec Don’t Forget about us.

Assez dit.

Regardons de plus près ce titre de Bieber. Sorry. (C'est le titre)

Zoom sur Justin Bieber - “Sorry”

Écrit par Justin Bieber, Julia Michaels, Justin Tranter, Sonny Moore, Michael Tucker
Produit par Skrillex, Yektro, Blood Diamonds
Mixé par Andrew Wuepper, Josh Gudwin

Analyse de la chanson

Justin Bieber jouant du clavier

Pourquoi le titre a fonctionné

Je trouve fantastique que celui-ci ait été adopté par l'ensemble des États-Unis comme leur titre préféré. Peut-être est-ce à cause de l'ambiance tropicale en phase avec l'hiver exceptionnellement doux que nous avons eu. Peut-être parce que ça groove méchamment. Pas sûr.

Influence jamaïcaine Dem Bow

Quoi qu'il en soit, je pense que c'est une réinterprétation moderne très intéressante du riddim jamaïcain classique Dem Bow (ou Poco Man Jam). Skrillex, qui a produit Sorry, a emprunté une page du livre de Diplo sur ce morceau. Diplo et son équipe Major Lazer ont beaucoup fait ces dernières années pour amener les sons et le style de production Dance-Hall, Ragga et Reggae vers le grand public américain et mondial. Leur matériel tend à être plus sale et moins accessible que ‘Sorry’ (à moins qu'ils ne veuillent vraiment que ça le soit).

Ableton Live et manipulation vocale

Alors, qu'est-ce qui fait marcher ce titre ? D'abord, rassurons-vous : aucun musicien live n'a été maltraité lors de la réalisation de ce morceau. Au cas où vous étiez inquiets. Je parie ma collection de plugins que la plupart de ce morceau a été générée dans Ableton Live sur un MacBook. On le devine à la couleur de la manipulation des samples vocaux. Live permet des manipulations rapides et crades de hauteur et de temps, et sa facilité d'utilisation a permis à des producteurs tatillons d'inventer de nouveaux timbres sympas. Écoutez l'arpeggio vocal à l'intro par exemple. Et la façon dont il est réutilisé dans la structure.

Vue d'ensemble de la structure de la chanson

La structure de Sorry est intéressante à observer. Comme la plupart des morceaux générés par ordinateur, c'est très copié-collé. Mais il y a une torsion.

Intro et deux couplets

Après l'intro de 4 mesures qui vous met au courant de ce qui vous attend avec le hook vocal et un simple pad de cordes mellotron, vous avez deux couplets de 8 mesures.

Le premier est très maigre et dépouillé, grosse caisse et une sorte de son marimba qui établissent le riddim.

Le deuxième ajoute la charleston et la touche moderne avec le pad sidechainé.

Est-ce le refrain ? La section où le beat se casse

Puis vient le refrain. Ou est-ce le refrain ? Le beat se casse, ce qui tend à indiquer qu'on se prépare à quelque chose de plus grand, mais cela peut tromper (Regardez ce morceau que mon pote Sandy Vee a produit où il a poussé le monde entier à s'ambiancer sur un refrain sans beat - Only Girl In The World par Rihanna)

Justin Bieber avec SkrillexOn y entend bien « Is it too late now to say sorry? » Ce devrait être le refrain. Quoi qu'il en soit, c'est 8 mesures puis c'est rempli par des coups de cuivres ludiques et les pads sidechainés à nouveau.

Section du hook vocal

La section suivante s'appuie sur le hook vocal samplé et de simples réponses « Sorry ». C'est 8 mesures. Elle utilise la même forme que la partie précédente mais la développe en étant soutenue par le riddim complet. Appelons-la refrain jusqu'à nouvel ordre. Ce qui ferait de la partie précédente le pré-refrain.

La re-intro de deux mesures

Vient ensuite le premier retournement intéressant. Il y a une ’re-intro’ de deux mesures, une simple reprise de la première chose que vous entendez avant d'attaquer le refrain. Pourquoi ? Probablement parce que ça ne faisait pas plaisir de retourner directement au couplet (N'hésitez pas à faire un montage pour voir ce que ça aurait donné et décider ce que vous préférez). Pourquoi pas 4 mesures alors ? Probablement parce que ça aurait été une purgation trop longue puisqu'on retombe sur le couplet 2. C'est asymétrique et ça va très bien comme ça.

Couplet 3 et le filtre en remplissage

Le couplet 3 est un copier-coller du couplet 1, y compris le cri surprenant au point des 4 mesures. On note l'ajout intéressant d'un filtrage de l'ensemble du morceau pour créer un remplissage différent vers la section suivante.

Pas de couplet 4 : conserver l'élan

Remarquez qu'il n'y a pas de couplet 4 avant d'arriver au prérefrain 2. Ça maintient le tempo en mouvement. Il y a très peu de superflu sur ce titre.

L'insolite double pré-refrain

Le prérefrain 2 est pratiquement identique au prérefrain 1, puis arrive le deuxième retournement. Le prérefrain est doublé, ce qui est très inhabituel. En fait, je ne pense pas à un autre (grand) titre qui ait un double prérefrain de cette façon. Si vous en trouvez un, envoyez-moi une carte postale avec le nom du morceau dessus. Pourquoi l'avoir fait ? Votre supposition vaut la mienne. Ils ont montré un contrôle avisé du tempo du morceau jusqu'ici, alors pourquoi retarder la sortie que fournirait le deuxième refrain en venant là où on s'attendrait à le trouver ?

Considérations supplémentaires

Raisons possibles du double pré-refrain

Voici quelques idées :

  1. Peut-être avaient-ils quelque chose d'autre à dire qui ne rentrerait pas dans la mélodie du couplet. Les paroles changent et livrent une information cruciale dont on ne pouvait pas se passer : ‘I’m not just trying to get you back on me, oh no, no’
  2. Peut-être ont-ils réalisé que tout le monde attendait le retour du refrain à cet endroit et ont décidé de retarder le « drop », comme le font les producteurs de dance, pour tirer plus de la même arrangement.
  3. Peut-être que quelqu'un a appuyé sur
  4.  

Je ne sais pas. À vous de choisir.

Le double refrain

Justin Bieber en train de chanterPuis on a un double refrain 8+8 mesures qui est un copier-coller parfait des deux premiers refrains avec quelques adlibs ajoutés mais sans nouveaux éléments et sans tentative d'augmenter l'énergie. Ça me rappelle un peu le mec super bien habillé dans un coin de la piste de danse qui danse, mais pas trop fort. On ne peut pas trop se déchaîner. Ce n'est pas cool de trop danser. Les vrais hommes limitent les mouvements corporels superflus (sur la piste de danse, bien sûr). Bref.

Fin minimaliste

La fin est une reprise de l'intro sans le hook. 4 mesures. C'est fini.

Usage intelligent des petits détails

Il est vraiment intéressant de noter combien ils ont fait avec si peu. Écoutez le morceau une fois et notez les petites interventions qui pimentent le titre sans prendre le dessus. Cette mélodie de type trompette/cuivre. Auriez-vous osé la faire apparaître ? Faites attention à la queue de delay dessus. Regardez toutes les petites percussions qui marquent les points de 2 et 4 mesures et la façon dont elles sont traitées tout au long de la chanson. Remarquez le joli bruit de riser à la fin du prérefrain et le balayage de filtre descendant associé, remplaçant un coup de cymbale sur le temps fort du refrain. Notez aussi comment tout est recyclé. Est-ce de la paresse ? Peut-être. Et si c'était une approche minimaliste ? Peut-être. Est-ce que le titre serait identique avec des remplissages différents toutes les deux mesures, des textures différentes à chaque refrain, et une rythmique plus massive au refrain ? À vous de décider.

Analyse du mix

Justin Bieber avec une fan en studio

Espace et clarté

Au niveau du mix, ce titre joue tout sur l'espace. Il est difficile d'imaginer ce qui a été fait au mix et ce qui a été fait au niveau de la production.

Transitoires larges et côtés propres

Une chose est sûre : il donne une sensation beaucoup plus large que la plupart des mixes actuels, en partie grâce au fait que l'on peut repérer très clairement les transitoires de toutes ces petites interventions par l'absence d'encombrement autour d'elles. Et elles ont été placées sur les côtés. Chouette.

Effets vocaux et nuages

Remarquez comment les voix se posent nettes au-dessus de la grosse caisse et bénéficient d'assez de reverb ET de delay. Les deux, capitaine. Cela crée un nuage qui plane au-dessus du beat.

Minimalisme et stratégie de loudness

Sans basse ultra lourde et avec un arrangement aussi serré, le morceau a réussi à passer le filtre de loudness de l'industrie et à rivaliser avec les masters aplatis alentours sans avoir à être écrasé. Très intelligent et très bien fait.

Pensées finales

Précision et retenue

Globalement, ce titre est un excellent exercice de retenue et d'excellence dans le minimalisme. C'est très très difficile à faire. C'est beaucoup plus simple d'empiler 4 grosses caisses et 18 claviers pour obtenir de l'impact. Mais quand quelque chose est fait avec une telle précision et maîtrise, c'est vraiment puissant, non ? Essayez. Comptez les éléments que vous pensez vraiment importants dans ce morceau, faites-en une liste, et faites un titre à partir de cette liste. Amusant, non ?

Influence world music

Ça fait plaisir de voir que l'influence de la musique du monde s'infiltre dans le mainstream autant qu'elle l'a fait récemment. Il y a beaucoup de beauté là-dehors qui peut servir à apporter de nouvelles couleurs à notre bande-son quotidienne. J'espère en voir davantage dans les prochaines années.

Reeeeewwwwwwinnndddd.
Fab Dupont

Écrit par puremix